La gauche manque d’imagination. Je ne parle pas de ceux qui gouvernent. Ils n’ont même plus le vernis de « gauche », bien qu’ils persistent à usurper leur appartenance au courant émancipateur.
Une partie de la gauche s’engouffre dans une opération primaire. Ce fourvoiement fait peine à voir. Qui peut croire que l’onction d’apparence démocratique d’une primaire effacerait ce fait qui consiste à remettre dans les mains d’une seule personne des pouvoirs exorbitants.
Est-il possible de briser le carcan anti-démocratique de la 5e République ? La question est certes difficile. Pourtant, il y a au moins une solution susceptible de redonner l’espoir et de mobiliser : mener une campagne tambour battant, avec de multiples comités locaux, pour une 6e République, pour une République sociale et démocratique. Occuper le terrain autrement, dès maintenant. Sans candidature à la présidentielle.
Cela suppose que des formes nouvelles du débat soient inventées, en s’inspirant, par exemple, de la campagne 2004/2005 (référendum sur le TCE), mais aussi de la Grèce (en dépit de l’étranglement qu’elle a subi), de l’Espagne, et même de 1789/1793 pour remonter plus loin. Cela suppose que toutes les questions soient ouvertes, investies, soumises à la réflexion, en ne fuyant pas les contradictions ni les questions difficiles. En s’appuyant sur les luttes, il s’agit de rassembler et de construire.
Cette proposition peut provoquer scepticisme et réticences. La forte participation à cette élection, l’engouement qu’elle suscite, devraient interroger : élection populaire ne veut pas dire démocratique. Les groupes dirigeants coalisés n’ont nul besoin de démocratie. Parader, organiser des grand-messes leur suffit pour faire croire au peuple qu’il est appelé à se prononcer « démocratiquement ». En revanche, participer à cette élection plébiscitaire, c’est prendre le risque de renforcer le système combattu, de le banaliser. Dire qu’y participer est le seul moyen de pouvoir la contester est une aporie. La multiplicité des candidatures ne change rien à cela.
Plutôt que servir d’alibi à une opération anti-démocratique mieux vaudrait, avec tout le mouvement contestataire, avec les porteurs du projet éco-socialiste, engager dès maintenant, une immense campagne pour une constitution démocratique et sociale. L’heure du peuple, programme-titre du Parti de gauche, ou la République sociale, ne peuvent advenir si la bataille s’englue, si la gauche encore une fois tombe dans le guet-apens constitutionalisé de la 5e République. Celles et tous ceux qui espèrent et souhaitent une politique sociale digne de ce nom, une politique culturelle pour le plaisir et l’émancipation de tous, une politique économique qui ne soit plus soumise au capital, une politique de relations internationales qui ferait de la paix, de la solidarité et de la coopération un axe essentiel, tous ceux-là devraient être convaincus que cette ambition n’a aucune chance d’aboutir dans le cadre constitutionnel existant.
En droit et en fait, le cadre constitutionnel français est un véritable verrou. Le marché y impose sa loi, via le traité de Lisbonne. Le peuple est exclu. Le pouvoir exécutif, à tous les niveaux, limite outrancièrement le pouvoir législatif (délibératif) et l’initiative populaire. Changer la constitution, en mobilisant l’énergie créatrice et l’intelligence collective du peuple est une condition sine quoi non pour recréer une gauche de transformations sociale, multiple, combative, puissante et, ce faisant, inventer une architecture démocratique de fonctionnement permanent, à toutes les échelles et dans tous les espaces où se construit du commun.
Marc MANGENOT