et la lettre ouverte des cadres du Service social départemental.
Nov 12
Hébergement et logement : une catastrophe sociale en Seine Saint-Denis…
Lors d’une récente visite du 115 du Val de Marne, le Premier ministre a confirmé que l‘inventaire des logements pouvant être réquisitionnés était en cours. Par ailleurs, le chef du gouvernement a annoncé la volonté de pérenniser le plus grand nombre des 19 000 places d’hébergement du plan hivernal. Cependant, les éventuelles réquisitions, prévues au mieux en début d’année prochaine, ne concerneraient que des bâtiments publics et la loi de finance ne prévoit que le financement de 1000 nouvelles places d’hébergement pour l’année 2013. De l’avis de tous les observateurs, ces dispositions paraissent bien insuffisantes au regard de l’extrême gravité de la situation.
La Seine Saint-Denis est certainement l’un des départements les plus touchés par le mal logement. Récemment, des responsables de l’action sociale ayant une bonne connaissance du département ont exprimé leurs plus vives inquiétudes1. Jamais, en effet, les indicateurs départementaux n’ont été aussi préoccupants :
– Plus de 5000 personnes, pour le principal des ressortissants roumains ou bulgares de la communauté rom, tentent de survivre dans des bidonvilles insalubres et dangereux;
– Difficilement quantifiable, le nombre de taudis sordides loués par des marchands de sommeil sans scrupule va croissant;
– Depuis plusieurs mois, le 115 est submergé par les appels et ne dispose pas de places en suffisance. Ainsi, chaque jour des personnes et des familles restent à la rue. Courant octobre, plus de 250 enfants et leurs familles ont dû se débrouiller faute de proposition d’hébergement;
– Chargé de recueillir toute les demandes d’hébergement à l’échelon départemental, le Service intégré d’accueil et d’orientation 93 (SIAO 93) a reçu plus de 5000 demandes qui ne trouvent pas d’offre d’hébergement;
– Les centres d’hébergement sont pleinement occupés et les personnes hébergées rencontrent les plus grandes difficultés pour accéder à des solutions d’habitat plus autonomes;
Par défaut de propositions adaptées, les personnes restent dans les centres d’hébergement;
– Plus de 3000 ménages, bénéficiant d’une priorité de relogement dans le cadre de la loi Dalo, attendent une proposition de logement bien au-delà des délais réglementaires;
– Les expulsions locatives ont perduré en grand nombre jusqu’au début de la trêve hivernale;
– Enfin, plus de 60 000 demandes d’accès en logement social restent en souffrance et les loyers du parc privé continuent d’augmenter;
De longue date, les travailleurs sociaux, les professionnels de santé et les enseignants ont constaté les graves conséquences du mal logement sur la santé, la scolarisation des enfants et les différents aspects de la vie quotidienne des adultes. Ainsi, la privation d’habitat stable et adapté entraîne un immense gâchis humain qui touche en tout premier lieu les enfants mais aussi les personnes les plus vulnérables.
Cette catastrophe sociale est parfaitement inacceptable. Depuis plusieurs années, le législateur a instauré un droit à l’hébergement d’urgence, dans des conditions respectueuses de la dignité humaine, pour toute personne, sans exclusive aucune, privée d’habitat (Cf. l’article L 345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles). Dans son ordonnance du 10 février 2012, le Conseil d’Etat a confirmé ce droit et a rappelé que sa mise en oeuvre incombait à l’Etat. Depuis l’adoption de la loi relative au droit au logement opposable en mars 2007, le droit au logement a été promulgué sans aucune ambigüité.
Madame la ministre du Logement et de l’Egalité des territoires et Monsieur le Premier ministre semblent avoir oublié ces dispositions et la jurisprudence afférente. Voilà une omission bien étrange pour des responsables politiques qui régulièrement se déclarent attachés à l’Etat de droit. Mais sommes-nous encore dans un Etat de droit ? La question mérite d’être posée quand des droits sociaux aussi incontestables sont bafoués.
Les difficultés particulières de la Seine Saint-Denis, conséquentes du développement de la précarité et du chômage, posent une autre question: Quid de l’action publique visant à l’égalité des territoires ? Là encore, le ministère chargé de ce domaine d’intervention n’a toujours pas apporté le début d’une réponse convaincante.
L’Etat doit sans délai considérer avec la plus grande rigueur la gravité de la situation. Pour remédier à cette catastrophe sociale, particulièrement accentuée en Seine Saint –Denis, des mesures d’urgence s’imposent, et notamment:
– L’arrêt des expulsions sans proposition de relogement; Depuis plusieurs années, des communes du département prennent des arrêtés anti-expulsions. Jusqu’à présent, ces arrêtés ont été systématiquement attaqués auprès du tribunal administratif par les représentants de l’Etat et leur mise en oeuvre a été compromise. Porté notamment par plus de 13 villes de la Seine Saint-Denis, cet exemple mériterait d’être étendu à l’ensemble du territoire;
– L’encadrement à la baisse de tous les loyers du parc privé; Au cours des dix dernières années, les loyers des logements privés ont massivement augmenté, y compris en Seine Saint-Denis. Les loyers pratiqués actuellement sont inabordables pour un nombre grandissant de ménages modestes et difficilement gérable pour les familles disposant de revenus moyens. Entré en vigueur le 1 août dernier, le récent décret relatif à l’encadrement des loyers à la relocation reste d’une portée trop limitée pour inverser la tendance haussière. Il conviendrait donc d’encadrer strictement le coût du logement locatif afin d’atteindre un seuil raisonnable s’établissant à 20% des revenus des locataires;
– La réquisition des logements et locaux vacants; La mise en oeuvre de cette disposition, prévue par le Code de la construction et de l’habitation, est réclamée de très longue date par le plus grand nombre des acteurs mobilisés. Plus de 2 millions de logements vacants sont dénombrés à l’échelon national, dont plus de 300 000 en Ile de France. Ces réquisitions permettraient de loger temporairement des personnes qui actuellement sont mal logées ou sans logis sans pour autant léser les propriétaires, qui bénéficieraient du versement d’une indemnité. Dans l’attente de la production de logements à loyer modéré, la réquisition
apporterait une réponse adaptée en la circonstance.
– La création en suffisance de places d’hébergement; Bénéficier d’un hébergement, adapté et respectueux de la dignité humaine, est un droit réaffirmé en début d’année par la plus haute juridiction administrative et une nécessité que nul ne conteste. Nonobstant, la puissance publique a toujours négligé cette question. L’incurie avérée est chaque année masquée par des déclarations de bonnes intentions. Au cours des trois dernières années, et sous couvert d’une politique surréaliste dénommée « Le logement d’abord », le gouvernement Sarkozy/Fillon a gelé la création de nouvelles places d’hébergement. Ainsi, le dispositif est resté sous-dimensionné alors que la demande d’hébergement a augmenté du fait d’une précarité croissante et de la pénurie de logements à loyer modéré. La situation actuele résulte pour
partie de ce choix politique totalement incohérent animé par la seule volonté de réduire la dépense publique.
– L’engagement de poursuites à l’encontre des marchands de sommeil. Jusqu’à présent, l’Etat n’a pas manifesté la volonté d’éradiquer ce commerce lucratif qui s’est développé au détriment des ménages les plus pauvres. Ici, un changement de gouvernance s’impose. Au-delà de ces dispositions d’urgence, une politique volontaire de construction de logements à loyer modéré est à prévoir. Le déficit est de l’ordre d’un million de logements sociaux. La production annuelle de 200 000 logements à loyer réellement modéré durant 5 ans permettrait de répondre aux besoins.
Encore faudrait-il que ces logements soient correctement répartis sur le territoire. De nombreuses communes refusent toujours la construction de logements à loyer modéré. Alors que certaines communes de Seine Saint-Denis atteignent un taux élevé de logements sociaux (supérieur à 50%) et que la moyenne départementale est de l’ordre de 40%, d’autres villes d’Ile de France se situent sous le seuil de 5%. De toute évidence, faire sauter ce verrou nécessite l’instauration de sanctions dissuasives à l’endroit des équipes municipales récalcitrantes.
Par Gabriel Amard, président de la Gauche par l’exemple, Jeudi, 08 Novembre 2012.
1) Cf. notamment l’interview du directeur général de l’association gérant le 115 départemental, diffusé par France Inter le 15 octobre, journal de 8h00
et la lettre ouverte des cadres du Service social départemental.
et la lettre ouverte des cadres du Service social départemental.