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Nov 13

Argent public à l’école publique : pour un budget de rupture

Par François COCQ, Secrétaire National à l’éducation du Parti de Gauche et Francis DASPE, Secrétaire Général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale-Prométhée). Ils sont auteurs de L’école du peuple. Pour l’égalité et l’émancipation aux éditions Bruno Leprince (août 2012).

Le 8 novembre, le volet éducation du budget est examiné à l’assemblée nationale. Dans un océan d’austérité, ce pourrait être l’occasion pour le gouvernement d’afficher une rupture radicale avec l’ère Sarkozy. Au lieu de ça, les enseignants sont appelés par leur ministre à « participer à l’effort redistributif » et le garrot se resserre autour du budget de l’éducation nationale. L’occasion serait pourtant belle de poser un acte politique fort tout en « redistribuant » la rente de quelques-uns au profit de l’intérêt général : il suffit pour cela d’allouer l’argent public à l’école publique.

Si l’on s’en tient au seul budget de l’Etat, ce sont plus de 8 milliards d’euros d’argent public (10 milliards avec les collectivités locales) qui vont être dévolus en 2013 à l’enseignement privé, que ce soit pour la rémunération des 130 000 professeurs qui enseignent dans le privé ou pour le forfait d’externat. Depuis 1959 et la loi Debré, non seulement la prise en charge de ce dernier se fait « dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l’enseignement public », mais depuis la loi Guermeur de 1977, il est majoré d’un pourcentage permettant de couvrir les charges sociales et fiscales afférentes aux rémunérations et charges diverses des personnels non enseignants de droit privé.

Faute de ruptures, la continuité se prolonge en s’approfondissant. A la rentrée 2012, si les 14000 postes promis par François Hollande se faisaient globalement attendre, le privé pouvait s’enorgueillir d’avoir récupéré 3210 postes depuis le 6 mai. Vincent Peillon a succombé aux sirènes du lobby de l’enseignement catholique quand bien même 30% des classes du privé ont moins de 19 élèves et 15% moins de 15 élèves. Dans le même temps, l’enseignement public doit se serrer la ceinture et faire face à des classes toujours plus surchargées.

Ça suffit ! Plutôt que chercher à faire des économies sur le dos de nos concitoyens pour nourrir la finance, ce gouvernement doit commencer par rendre à la collectivité ce qui appartient à tous. L’argent public  provient d’une source universelle : les contribuables, quelles que soient leurs orientations religieuses ou philosophiques. Cette manne se doit d’avoir un but universel conforme à sa nature même : le financement des services publics, de la solidarité redistributrice et de la protection sociale. L’application de ce principe doit s’effectuer pleinement en faveur de l’École publique et laïque, seule dépositaire de cet intérêt général.

Les dévots de l’enseignement privé peuvent se cacher derrière une équité factice, elle ne résiste pas à l’étude des faits. Seule l’école publique est gratuite quand l’école privée fait payer les familles ; seule l’école publique est tenue d’accueillir indistinctement tout enfant quand le privé peut choisir ses élèves ; seule l’école publique est laïque quand la loi Debré garantit aux établissements privés le maintien de leur « caractère propre » ; seule l’école publique est assujettie aux obligations de service public quand l’école privée n’est pas tenue de re-scolariser un élève exclu…

Le budget 2013 couplé à la future loi d’orientation scolaire offre l’opportunité de récupérer le terrain concédé à l’alliance des marchands et du goupillon. Certes depuis mai le gouvernement aurait dû interdire les financements facultatifs, abroger les lois Debré de 1959, Guermeur de 1977, Carle et l’article 69 de la loi Falloux. Mais il est encore temps d’enclencher la réduction progressive des subventions publiques selon un échéancier permettant aux établissements privés sous contrat de se réorganiser et au bout d’une législature de s’autofinancer. Dès cette année, ce sont donc 1,6 Mds € qui peuvent être immédiatement ré-affectés à l’augmentation du budget des établissements publics.

Une telle bifurcation serait l’occasion d’un re-développement des lieux d’enseignement public. Tous nos concitoyens doivent  pouvoir envoyer leurs enfants dans un cadre public. Il est inenvisageable que l’enseignement privé prospère sur l’abandon du service public comme dans ces 520 communes qui ont une école privée mais pas d’école publique. Quant aux enseignants du privé, si une majorité, continuera sans doute d’exercer dans leurs établissements, ceux qui le souhaitent pourront intégrer moyennant des procédures républicaines le corps des fonctionnaires publics. Les 100.000 postes supprimés depuis 2002 laissent malheureusement une certaine marge…

Ne pas engager le débat budgétaire sur ces bases, ce n’est pas faire preuve d’amateurisme. C’est capituler devant des intérêts particuliers et roucouler avec les pigeons de toutes sortes. D’autres alternatives existent pourtant. Elles passent dans l’éducation par la réaffirmation du serment de Vincennes : fonds publics à Ecole publique. Elles se prolongent pour augmenter dès 2013 le budget de l’éducation nationale de 14,9 Mds € avec par exemple 3 Mds € pour rendre la scolarité obligatoire de 3 à 18 ans, 600 millions d’euros consacrés dès cette année à l’augmentation de 50% sur cinq ans des crédits consacrés à l’enseignement professionnel et à la mise en place d’un grand service de la qualification, 700 millions pour l’embauche de 70 000 enseignants sur 5 ans ou encore la revalorisation du point d’indice (6,8 Mds € pour l’Éducation Nationale).

Voilà des éléments concrets qui devraient figurer dans un budget de rupture qui réponde aux attentes d’une gauche qui revient au pouvoir et qui décide d’affronter la finance. A défaut de figurer ailleurs, ils sont au cœur du contre-budget que le Parti de Gauche présentera mi-novembre.